Diogène n° 273-274 (1):171-185 (
2022)
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Abstract
Pour Proust, on le sait, la mémoire fouille dans les ruines ce que le Temps a détruit, et ce que l’Art peut parfois sublimer. Face à un traumatisme soudain et dévastateur, le passé récent “convertit” (dans le sens alchimique, religieux, hystérique du terme) sa banale quotidienneté pour s’investir après-coup en paradis à jamais perdu. (Or les paradis ne sont-ils pas toujours des paradis perdus –Milton, Proust, Freud, et al.)? Anticipant par une dizaine d’années le vécu de notre présent mondialement pandémique, le film de Soderbergh met en scène la monstruosité inexorable du virus, avec le chaos, la dépression universelle et l’agressivité qui en résultent, – illustrant ainsi comment le quotidien se transforme en une invivable dystopie. Cependant /u-topie/ et /dys-topie/ s’entrelacent et se reconfigurent dans une dynamique dialectique : De même que le passé (rétrospectivement) utopique contenait déjà le code de sa propre auto-destruction, de même le présent (prospectivement) dystopique engendre endurance et lutte à mort pour sur-vivre, ne serait-ce que dans un mode d’être différent du passé perdu et du présent mortel. Ce faisant, comme le montre notre analyse, Soderbergh surprend par la dimension féministe de son film.