Abstract
De nombreuses études ont été consacrées au vocabulaire psychologique et aux fonctions intellectuelles dans la littérature grecque et singulièrement au théâtre notamment depuis les travaux de Br. Snell jusqu’aux ouvrages de S. D. Sullivan. L’article ici proposé est à la fois modeste et précis : il analyse comment le théâtre tragique est un corpus privilégié pour saisir la manière dont l’intelligence peut se présenter de manière traditionnelle avec un sens concret lié à l’agir, mais également s’enrichir en s’écartant de ces emplois, ou même apparaître plus abstraitement comme une réflexion sur le sens de l’action humaine, dans un drame où celle-ci est à la fois mise en scène et mise en question. L’étude ne porte pas seulement sur la distinction entre des sens traditionnels et des significations novatrices, mais sur les contextes dramatiques dans lesquelles ces notions sont employées, car ceux-ci peuvent contribuer à renouveler l’emploi d’un sens apparemment traditionnel (ainsi des contextes à valeur politique plus marquée chez Sophocle ou Euripide). De même, l’examen ne se limite pas à nous et noein : il prend en compte, d’une part les créations lexicales propres à un auteur pour mesurer leur éventuelle importance sur l’évolution de la notion (Eschyle), et d’autre part certains dérivés et composés — pour autant qu’ils font intervenir la notion d’intelligence — comme ἐννοεῖν, ἔννους, πρόνοια, ou comme l’antonyme ἄνοια : ces mots, verbes, noms ou adjectifs, permettent en effet de sérier des emplois liés à l’action pratique, mais où la notion d’intelligence revêt une portée essentielle, et qui sont parfois proches de ceux présents chez les historiens contemporains comme Hérodote ou Thucydide. L’analyse montre comment le théâtre tragique, dans sa forme dialogique elle-même, présente des situations conflictuelles où est questionné le sens même du nous selon les points de vue divers des personnages, ainsi que les réflexions des personnages ou du chœur sur ces conflits, en mettant en scène des prises de décision qui se traduisent ou non en actions. Le corpus tragique est ainsi un corpus important pour l’étude de l’évolution de la notion d’intelligence en Grèce antique avant Platon.