Abstract
L ’ ambition de cet article est double. D ’ une part, il tente de dépasser le fossé qui existe entre les travaux en philosophie morale et politique, qui traitent rarement de réels raisonnements moraux en contexte, et les recherches en sociologie, en sciences politiques ou en analyse de discours, qui éludent les contenus de ces raisonnements. D ’ autre part, le cas étudié, extrait d ’ une conférence de consensus, un publiforum suisse sur le génie génétique et l ’ alimentation, a l ’ avantage de mettre en contact divers types d ’ experts en éthique et des citoyens ordinaires, convoqués au sein de nouvelles formes d ’ institutionnalisation, connues principalement en Europe sous le nom d ’ Évaluation technologique participative (ETP). Cet article propose une nouvelle méthode de sociologie éthique de l ’ évaluation qui vise la restitution de jugements de tiers en contexte, en tâchant de tirer le meilleur des ressources de la philosophie morale à des fins de clarification, tout en respectant les exigences de la sociologie, notamment son souci de mise à distance et d ’ objectivation. Il discute certaines des difficultés propres à ce type de recherche à l ’ interface de la sociologie et de la philosophie. Il analyse dans le détail diverses positions exhibées par des personnes de référence et la façon dont des citoyens s ’ en saisissent pour élaborer leurs préconisations dans un rapport, fruit de leurs travaux, transmis au Parlement du pays concerné et diffusé largement dans la société. La discussion qui clôt cet article remet en cause les solutions procédurales rawlsienne et habermassienne qui s ’ en remettent à une coopération équitable entre individus libres et égaux ou au droit, aboutissant à une abstinence épistémique ou à une sous-estimation de la capacité qu ’ aurait un individu de produire une justification rationnelle de son jugement moral.