Abstract
Le moins que l’on puisse dire de Rousseau, c’est qu’il a donné du fil à retordre à ses exégètes. Simone Goyard-Fabre, dans son livre, tente de montrer que cela tient au discours même de Rousseau, qui donne autant de matériaux à une lecture individualiste qu’à une lecture étatiste. Il y aurait, dit-elle en substance, une équivocité sémantique dans le corps même de la conceptualité de Rousseau. Cette «indécision» serait liée au fait que Rousseau opère une «révolution méthodologique» que lui-même n’a pas pensée jusqu’au bout. Cette révolution, c’est à Kant qu’il sera revenu de l’accomplir définitivement, et c’est bien évidemment la révolution criticiste. Rousseau serait précurseur de l’humanisme juridique. Et cela viendrait de ce qu’il aurait adopté, dans sa philosophie politique, une perspective «transcendantale»—bien qu’il ne l’ait pas nommée ainsi. Pour le montrer, Goyard-Fabre propose de lire l’œuvre de Rousseau suivant deux «niveaux», qui constituent les deux parties de son livre: dans un premier temps, donc, il s’agit de suivre sa «philosophie politique» afin de montrer qu’elle nous fait remonter jusqu’aux principes de l’appareil du droit, débouchant alors sur une «politique philosophique» dévoilant «la vérité de l’homme par une considération des normes qu’il se donne» ; dans un second temps, Goyard-Fabre entreprend de montrer que cette pensée politique permet de saisir le statut de l’existence humaine, à savoir la condition tragique d’un écartèlement irrémédiable entre sa destination et sa destinée, entre devoir-être et être.