Abstract
Il s'agit d'une étude dont l'arrière-fond est constitué par la controverse Kuhn-Popper. Kuhn a élaboré une conception de la science qui critique e.a. la théorie de la falsification de K. Popper. Selon Kuhn la science dite normale est une activité sous l'égide d'un paradigme (modèle à imiter); cette activité est interrompue par de rares periodes révolutionnaires, qui marquent le passage d'un paradigme à un paradigme suivant. Un des traits caractéristiques de ce passage réside dans l'incomparabilité des paradigmes consécutifs: c'est le propre d'un paradigme de faire voir le monde avec des yeux nouveaux et ainsi deux paradigmes consécutifs parlent des langues complètement étrangères l'une à l'autre. Cela implique qu'au sens strict une critique rationnelle d'un paradigme est impossible: c'est cette idée importante que j'ai essayé de critiquer en investigant la genèse et l'évolution de la notion de champ en physique. On remarque que cette notion s'élabore dans différents paradigmes et traditions de recherche. Ainsi les racines de cette notion sont liées intimement à des difficultés inhérentes à la mécanique classique. Ces difficultés se rattachent à deux problèmes différents: l'une concerne l'action de la force en tant qu'action à distance (le prototype en est la force de gravité), l'autre concerne la conception de la force inertiale, de l'espace absolu et des systèmes de référence privilégiés. En passant par la théorie de l'électromagnétisme de Maxwell, élaborée à partir des conceptions nouvelles introduites par Faraday, et poursuivie par Lorentz, la notion de champ se rattache à la mécanique de aether, concept qui jouera un rôle médiateur entre les deux directions indiquées. Ces directions, après leur passage par la relativité restreinte, convergent finalement dans la notion de champ de la relativité générale, couronnement provisoire du développement, et qui élimine les difficultés initiales à la racine de ce développement. Cette étude en partant d'un cas concret montre la possibilité pour différents paradigmes d'avoir en commun certains concepts. Elle indique qu'une certaine critique rationnelle de l'un sur l'autre n'est donc pas exclue. Ceci permet d'espérer qu'un amandement du rationalisme critique de Popper avec sa théorie de la falsification et sa conception d'un rapprochement de la vérité, n'est peut être pas tout à fait illusoire