Editions La Découverte (
1997)
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Abstract
Certaines idées hantent le paysage des sciences modernes, et y font office de véritables mots d'ordre, sources apparemment inépuisables de jugements arrogants, dont le sempiternel retour marque un contraste étonnant avec l'inventivité des pratiques scientifiques. Si nous pouvions accéder à la description, dans ses moindres détails, de l'état du système nerveux central en un moment donné, nous devrions pouvoir expliquer la production psychique en cet instant. Si la physique a pu progresser, c'est parce qu'elle s'est débarrassée de notions " métaphysiques ", telle la causalité, pour s'attacher à sa seule mise en évidence de relations formelles, ou abstraites. Ces deux énoncés traduisent, sur deux modes différents, une définition de la rationalité scientifique qui la fait communiquer avec le pouvoir : pouvoir de réduire dans un cas, pouvoir d'abstraire dans l'autre. Et tous deux s'autorisent d'un précédent prestigieux : de la mécanique rationnelle de Lagrange et Hamilton à la mécanique quantique aujourd'hui, la physique semble bel et bien avoir conquis ce double pouvoir. D'où vient que la description mécanique ait pu effectivement faire rimer description et raison, abstraction et pouvoir? D'où vient que la réalité apparaisse, dans ce cas, donner raison au pouvoir? Quel est le prix de ce pouvoir? Et comment a-t-il pu en venir à inspirer une véritable foi à ceux qui l'inventaient? Et si l'histoire de l'invention de la mécanique, de Galilée à Poincaré, était l'histoire de poètes créateurs de fiction? Et si le pouvoir de cette fiction faisait coïncider l'abstraction non avec la généralisation formelle mais avec la fabrication du singulier? Le récit de l'invention de la mécanique pourrait, dans ce cas, constituer le meilleur antidote à la fascination qu'exerce le pouvoir de la physique.