Abstract
Que veut dire « vivre de sa plume»? L'expression a souvent été invoquée par des historiens avançant le récit d'un progrès dans les pratiques littéraires marqué par le passage des écrivains du patronage au marché, afin de définir la « modernité » auctoriale par rapport à un modèle ancien de l'homme de lettres protégé par la noblesse. Or un examen plus attentif montrera que ce progrès vers une autonomie gagnée par la vente des écrits n'est guère aussi évident qu'on a eu tendance à le croire. Cet article étudie donc les ambiguïtés du récit historique implicite dans la notion de « vivre de sa plume ». Il propose ensuite une approche différente qui considère cette représentation non pas comme le reflet d'une nouvelle réalité professionnelle, mais comme un élément dans une nouvelle rhétorique de la présentation de soi en tant qu 'intellectuel. Comme topos, l'image va désigner - et en fait, constituer - à la fois la libération sociale de l'auteur à l'égard de la noblesse et son autorité morale lorsque ses tentatives de vivre de ses écrits échouent et qu'il persiste tout de même à sacrifier son bonheur personnel à son art.