Abstract
Tous ceux qui sont familiarisés avec les premières oeuvres de Martin Heidegger savent que ce philosophe allemand accorde une attention particulière à l'expérience affective. Le sentiment de la situation occupe une place importante dans son analyse de la constitution existenþiale de Xêtre-„là” . En particulier ses réflexions sur Xangoisse sont célèbres. Elles ont été le point de départ de beaucoup de malentendus et de fausses interprétations contre lesquelles Heidegger a réagi personnellement. L'expérience affective joue aussi un rôle important dans les oeuvres du „dernier” Heidegger. Ce fait est moins connu ou bien on y prête moins attention. Notre propos est de mettre en lumière l'importance du climat affectif dans les études du „dernier” Heidegger. Nous abordons donc l'expérience affective du point de vu de la Pensée de l'Être . Nous définissons cette expérience comme sérénité . Nous indiquons en même temps les relations entre ce climat affectif et l'expérience de l'angoisse telle qu'elle nous est décrite dans les premières oeuvres. Bien que le climat affectif des deux périodes soit différent, il n'y a pas de contradiction. Loin de là, ils se supposent l'un l'autre, ils s'entrelacent ! Les études du „dernier” Heidegger soulignent très nettement que l'expérience affective ne peut être comprise exclusivement comme pur événement personnel mais avant tout comme destinée du mystère de l'Être . Elle est l'incarnation d'un appel, d'une parole de l'Être qui affecte et détermine l'homme. L'expérience de l'angoisse -telle qu'elle nous est décrite dans les premières oeuvres - doit être comprise dans cette même perspective. Toute modalité de disposition affective doit être considérée comme une pro-venance de l'Être, comme un avènement qui prend sa source dans la clairière de l'Être. L'expérience affective et sa contribution à l'intuition du mystère de l'Être se laissent esquisser de la façon suivante. Les dispositions d'humeur ou les tonalités-affectives révèlent à l'être-„là”, l'être-au-monde dans sa totalité. Elles créent la possibilité de se sentir au milieu de l'existant en son ensemble. Elles dévoilent l'ensemble de l'existant d'une manière ou d'une autre. Heidegger donne l'exemple de l'ennui profond et de la joie . L'angoisse occupe une place primordiale parmi les différentes tonalités-affectives parce qu'elle dévoile en plus le sens ultime de l'être de l'étant en son ensemble. Elle met l'homme devant le Néant . Elle fait apparaître l'horizon du Néant. C'est pourquoi elle est appelée „tonalité-affective-fondamentale” . Elle fait de l'homme la „sentinelle du Néant” . La disponibilité devant l'angoisse requiert du courage , de la vaillance et de l'audace . Celui qui se tient dans l'expérience du Néant sera capable de répondre à l'appel de l'Être. En effet, l'expérience de l'angoisse n'est pas la fin de tout mais elle constitue le tremplin vers l'expérience originale de l'Être. L'expérience du Néant révèle l'horizon, la Contrée ou la libre Étendue dans lesquels s'épanouit l'être de l'étant. Elle dévoile la vaste dimension ouverte qui donne à tout étant sa garantie d'être. En même temps elle se distingue de tout étant. Elle est „l'autre pur et simple de tout étant” En ce sens elle est „non-étant” ou Néant. C'est le mystère ou le secret de l'Êtremême qui s'annonce : c'est „la revendication de la voix silencieuse de l'Être”. Cette expérience amène la crainte, la retenue ou la pudeur parce que l'homme y éprouve profondément sa pauvreté. Il prend conscience de son incapacité d'aborder de ses propres forces le mystère de l'Être. Il sait que cette expérience est un don de l'Être qui s'épanouit. Il ne pourra jamais dévoiler ou analyser ce secret. La seule attitude authentique consiste dans le respect et la docilité. Ainsi l'homme acquerra une attitude d'attente, de docilité, d'écoute, de patience, d'abandon, d'humilité, de subordination et de dépendance à l'égard de la „clairière” de l'Être. Bref, il évoluera vers la sérénité . C'est la disposition idéale dans laquelle se réalise l'ouverture de l'homme à la pro-venance de l'Être. Elle met l'homme à l'écoute et au service de l'Être. Elle est un don de l'avènement de l'Être même. Elle fait de l'homme le „berger de l'Être” . Cette attitude est source de paix, de résignation positive et de gratitude . Elle rend l'homme capable d'intégrer la joie et le deuil dans sa vie . Nous avons donc examiné les différentes relations entre ces tonalités-affectives qui s'enracinent dans le Destin de l'Être. Nous avons également situé l'interprétation heideggerienne de l'amour , de l'égalité d'âme devant les choses et de l'ivresse sublime du poète