Abstract
En faisant du sujet de droit la prémisse anthropologique de la société, la modernité bouleverse la nature de l’intérêt général qui se mesure désormais à l’aune des aspirations individuelles. L’intérêt général est moins un principe qu’une notion relationnelle, qui articule, par le moyen du contrat, la composition des droits et des intérêts particuliers. Pourtant, la réciprocité initiale entre le droit et l’intérêt débouche sur une tension contrariant le projet de composer un intérêt général apte à les satisfaire également. L’étude conjointe de deux auteurs, Thomas Hobbes et John Locke, permet de saisir que la priorité accordée à l’un des deux pôles, le droit et l’intérêt, aboutit à des pensées politiques radicalement divergentes, selon qu’elles portent l’accent sur l’exigence de la justice ou sur la poursuite de l’utilité sociale. Parce que la satisfaction des intérêts menace parfois de se retourner contre les droits, tandis que la protection des droits tend à discriminer les intérêts, la question se pose de savoir si l’univocité de la formule « intérêt général » ne masque pas une dualité dans sa nature, rendant problématique son statut d’idéal régulateur pour les sociétés modernes.