Abstract
L’objectif de ce texte de Ricœur est de relier mémoire et narrativité en prenant appui sur l’exemple de l’architecture. « J’adopte, écrit le philosophe, la définition la plus générale de la mémoire – celle que l’on trouve dans un petit texte d’Aristote précisé-ment intitulé De la mémoire et de la réminiscence, et qui reprend d’ailleurs des nota-tions, en particulier de Platon dans le Théétète, concernant l’eikôn, l’image: « rendre présent de l’absence », « rendre présent de l’absent » ; ainsi que la notation qui dis-tingue deux absents : l’absent comme simple irréel, qui serait donc l’imaginaire, et l’absent-qui-a-été, l’auparavant, l’antérieur, le proteron. Ce dernier est, pour Aristote, la marque distinctive de la mémoire quant à l’absence: il s’agit donc de rendre pré-sente l’absence qui-a-été. J’ai trouvé une grande complicité de pensée aux deux ex-trêmes de notre histoire de l’Occident, entre les Anciens − avec cette idée de l’absence rendue présente et de l’antériorité − et un propos de Heidegger, auquel je tiens beau-coup, quel que soit mon éloignement de son idée de l’être-pour-la-mort: la pensée qu’il faut dédoubler notre concept du passé en ce qu’il appelle le révolu, le vergangen, et ce-qui-a-été, le gewesen. Du même coup, on rend justice à la définition des Anciens, car l’auparavant-rendu-présent est doublement marqué grammaticalement: il n’est plus, mais il a été. Et il me semble que c’est la gloire de l’architecture de rendre pré-sent non pas ce qui n’est plus mais ce qui a été à travers ce qui n’est plus. »